Si mon âme en partant ne peut, dans ses bagages
Emporter la douceur d’une soirée de mai
S’il lui faut oublier qu’existèrent jamais
Les algues, les cailloux ramassés sur les plages
Ne pourrait-elle au moins sauver quelques nuages?
De ceux qui couronnaient Sainte-Rose-du-Nord
Ou bien les étendues de colza jaune d’or
Que Clémence, à trois ans, saluait au passage
Si mon âme en partant, soudain se retrouvait
Orpheline de tout ce qui l’émerveillait
Je mourrais
À regret
Si mon âme en partant doit laisser sur la rive
Le parfum de la terre après les giboulées
Ou celui d’une ville au bitume lavé
Quand, au petit matin, les balayeuses arrivent
Ne peut-elle emporter cette fragrance vive
Du jasmin qui poussait au Jardin de Tassin
L’odeur de tel matou aux relents assassins
Ou l’étrange senteur des amours en dérive?
Si mon âme en partant, soudain se retrouvait
Orpheline de tout ce qui l’émerveillait
Je mourrais
À regret
Si mon âme en faisant son ultime balade
Devait abandonner les chansons de marins
Et le frémissement des tambours africains
La morsure dorée des musiques nomades
Garderait-elle pas, comme une dérobade
Le rire de Baptiste éclaboussant le ciel
Les larmes des pianos, les guitares fidèles
Et les saxos du jazz aux obscures glissades?
Si mon âme en partant, soudain se retrouvait
Orpheline de tout ce qui l’émerveillait
Je mourrais
À regret
Si mon âme en fuyant doit oublier, sereine
Les enfants de mon corps et ceux de mes chansons
Les fêtes célébrées dans certaines maisons
Notre-Dame de dos, couchée près de la Seine
S’il lui faut dépouiller l’amour avec la peine
Et ne rien ressentir, pas même le regret
De n’avoir pas été celle qu’on espérait
Mais juste le brouillon d’une autre si lointaine
Quand mon âme, en partant, depuis toujours saura
Qu’on y va sans bagages à ce rendez-vous-là
Croyez-moi
Elle reviendra!