Paris fleure bon le mal
J'achète deux journals
Au kiosque du canal
Saint-Martin
A l'église, un clocheur
Fatigué sonne les trente-cinq heures
Du matin
L'aube lèche les pieds
La péniche des pompiers
Traverse tous feux éteints
La lune aussi s'éteint
Sur le miroir sans tain
Du canal Saint-Martin
Un pêcheur du dimanche
Sort une limousine blanche
De l'égout
Un déçu de l'amour
Plonge une enclume autour
De son cou
La Seine tend sa main
Vers le petit chemin
Vicinal du canal
Un merle blond répond
Au peintre sur le pont
Qui peint en rose bonbon
Le pont Dieu
Tout gris, ce mois de mai
Canal soleil, ça va jamais
Deux par deux
L'eau se gonfle les joues
Et sous l'écluse joue
Les Niagara d' banlieue
Un flic en vélo bleu
Pédale en plein milieu
Sous les arbres frileux
Des rafales de vent
Font voler les enfants
Sur le quai
Les vieilles dames sautent
D'une rive sur l'autre
A cloche-pied
La mer ne viendra plus
Lécher à fond perdu
Le lit sale du canal
Paris secoue ses reins
Un vieux violon chagrin
Essore ses refrains
Sur un banc
Et voilà des voiliers
Des lourds cargos, des gondoliers,
Des sampans
Sous les regards surpris
Soudain monte le cri
D'un marchand de charbon blanc,
Blanc comme les goélands
Qui escortent les flancs
D'un chaland nonchalant
Les riverains endormis
Sortent leur longue nuit
Aux fenêtres
Le facteur en riant
Balance dans le courant
Toutes ses lettres
Et la gueule de Paris
Bouffe la rêverie
Matinale du canal