Fred était comme un équilibriste,
Un mec pas banal qui aimait les risques
Ses grands yeux noirs brillaient comme des opales,
Son regard rêveur avait une lueur fatale
Fred dans la vie n’avait qu’une passion, la trompette,
Et le cool jazz quand Miles attaque, ça lui donne des frissons,
Et des appréhensions
Fred avait longtemps cherché un instrument à vent
Pour faire comme les grands
Un soir très tard il a déniché
Dans un bric-à-brac une trompette à trois sous en cuivre argenté
Cool jazz
C’est le cool jazz qui lui donne des frissons
Cool jazz et c’est le cool jazz
Et des appréhensions
Depuis cette nuit Fred devient braque,
Il joue tout le temps à s’en péter les lèvres
Ça le rend maboule, il devient patraque,
Il pisse le sang il fait monter la fièvre il cherche un phrasé,
Vraiment cool comme Kenny Dorham ou Clifford Brown
Et ça commence à poser un problème
Downtown car Fred partage son appartement avec Rose
Sa compagne du moment, il l’aime bien, il l’aime tendrement
Mais Rose, elle, elle n’aime pas vraiment le cool jazz
C’est le cool jazz
Qui lui donne des frissons
Cool jazz
C’est le cool jazz
Et des appréhensions
Quand Rose tous les soirs rentre du travail,
Qu’elle se sente bien ou qu’elle se sente mal,
Elle entre dans la salle de bains
Et se fait couler un grand bain
Elle les aime très chauds et pleins de mousse,
Et quand elle a bien frotté sa jolie frimousse
Elle sort du bain, elle se sèche et coiffe
Sa longue chevelure rousse
Mais depuis bientôt une quinzaine de jours
La salle de bains est fermée à double tour
Fred a besoin de réverbération pour se donner l’illusion
D’un gros son
La pauvre Rose n’en peut plus, elle frappe,
Elle tape, elle cogne et s’emporte,
Elle insulte cette pauvre porte
Qui reste comme morte
Sous ses coups car Fred n’entend plus rien du tout,
Si ce n’est le son cristallin de son instrument
Dans la salle de bains
Cool jazz…
Une nuit Fred a enfin trouvé un son pur,
Un son parfait sur la grille de “I’m beginning to see the light”
Il s’est approché du perfect delight
Et c’est ce moment précis que Rose a choisi,
Pleine de furie et d’hystérie,
Pour frapper la porte de toutes ses forces
En hurlant comme une folle “je te hais”
Fred au début n’a rien entendu, complètement absorbé
Dans son extase, mais au bout d’un moment les cris de rage
L’ont sérieusement importuné quoi? il y avait entre lui et le jazz,
Lui et Miles, lui et Clifford Brown,
Quelqu’un d’extrêmement bruyant,
Quelqu’un d’extrêmement gênant
Le sang lui montait à la tête, d’une main il a serré très fort sa trompette,
De l’autre il a ouvert la porte, elle a juste dit “que le diable t’emporte”
Tout s’est passé à toute vitesse, il a frappé, elle s’est écroulée,
La trompette par terre était toute tordue et Fred s’est effondré,
Il avait tout perdu,
Toute une semaine il est resté prostré, pendant que Rose se décomposée
Cool jazz
C’est le cool jazz
Le quoi? le cool jazz
Le cool jazz
Puis un jour elle s’est comme réveillée de ce long cauchemar embrumé,
Il s’est levé, a ouvert les rideaux, il est sorti, il faisait beau
Chez un ami il a emprunté de l’argent,
S’est acheté une trompette au son chaud et brillant
Fred maintenant est un grand trompettiste,
Qui joue toutes les nuits dans des clubs enfumés;
De temps en temps il a l’air un peu triste,
Mais sa tristesse le quitte dès qu’il peut jouer
Du cool jazz
C’est le cool jazz
Qui lui donne des frissons
Cool jazz
C’est le cool jazz
Et des appréhensions
Cool jazz
C’est le cool jazz
Cool jazz
Cool jazz
Cool jazz