Tous deux enfants du même faubourg
Elle était belle môme, lui beau gosse,
Et quand ils eurent quinze ans, l'amour
Vint chanter en les cÂœurs précoces !
Il lui disait : «J'aime tes grands yeux,
Tu s'ras ma p'tite femme dis, ma reine ?»
Ils s'offraient des mèches de cheveux
Et gravaient leurs noms sur les chênes
Ils juraient d' s'aimer toujours
Et dès qu'arrivaient les beaux jours
Dans les fossés de Vincennes
Quand fleurissait la verveine
Fuyant les faubourgs
Ils rêvaient d'amour
Le soir sous la lune sereine !
Et du fort, la vieille tour
Qui dressait son ombre lointaine
Leur faisait un décor d'amour,
Dans les fossés d' Vincennes !
A vingt ans il partit soldat,
Puis brusquement ce fut la guerre.
CÂœur inconstant, elle oublia
Son premier amour de naguère.
Elle fit la noce, elle voyagea
Menant un train de millionnaire.
Et d'vant son luxe on chuchota :
D'où lui vient cet argent ? Mystère !
Lui dev'nu officier maint'nant
Rêvant d'elle, murmurait souvent
Dans les fossés de Vincennes
Quand fleurissait la verveine
Fuyant les faubourgs
Nous rêvions d'amour
Le soir sous la lune sereine !
Et du fort, la vieille tour
Qui dressait son ombre lointaine
Semblait protéger nos amours !
Dans les fossés d' Vincennes !
Or, un jour, pour l'exécution
D'une espionne au fort de Vincennes
Il dut commander le p'loton
Désigné par son capitaine
Au petit jour, les yeux bandés,
Au poteau, l'espionne est placée
Et celle qu'on va fusiller
C'est elle ! C'est sa bien-aimée !
Fermant les yeux pour ne pas voir
Il cria : "Feu !" C'était son devoir !
Dans les fossés de Vincennes
Le soleil se lève à peine,
Sous les murs du fort
A passé la mort
Et l'espionne a subi sa peine.
Et lui, brisé par l'effort,
Le cÂœur pris de folie soudaine
Eclate d'un grand rire alors
Dans les fossés d' Vincennes !