Connaissez-vous quelque chose sur Terre
De plus varié que ceci, le mouchoir ?
A parcourir la série tout entière,
C'est un poème et nous allons le voir.
D'abord mouchoir que les marquis de France,
Devant Louis quinzième du nom,
Du bout des doigts balançaient en cadence
Dans la gavotte au bal de Trianon.
Puis le mouchoir de la femme élégante
De fin tissu, tout brodé, parfumé
Que laisse choir une main nonchalante
Car il contient un billet pour l'aimé.
Puis le mouchoir que jette de son trône
Le fier Sultan aux sultanes d'un soir
Devant le Grand Eunuque qui rit jaune
Car, lui, n' peut plus faire de nœud à son mouchoir.
Tous ces mouchoirs-là, mouchoirs de dentelle,
Sont plus éloquents que de longs discours
Et nous écoutons leurs chansons si belles,
Chansons d'autrefois ou chansons d'amour.
Y a l' mouchoir à carreaux du grand-père,
Le familier des prises de tabac.
Il essuiera des lunettes les verres
Avant d'ouvrir la lettre du p'tit gars.
Le p'tit gars, lui, qui fait son tour de France,
Dans un mouchoir a mis son baluchon,
Sur la grand-route, en chantant, il balance
Sur son épaule au bout d'un grand bâton.
Vous connaissez le mouchoir de l'apache,
Mouchoir cravate rouge, couleur de sang.
Parfois, d' son cou, monsieur Julot l' détache
Pour le serrer sur le cou d'un passant.
Mais plus gaiement, dimanche, les militaires,
De leur mouchoir tirent vingt sous pour voir
Dans les gourbis les joyeuse moukères
Faire devant eux la danse des mouchoirs.
Mais tous ces mouchoirs, quel luxe inutile,
Pour le vagabond qui va sur le chemin.
Le sien, d'un tissu simple et peu fragile,
S' compose simplement des deux doigts d' la main.
Au beau pays de Provence, les belles filles
Qui chantent digue digue et daine, mon bon,
D'une main leste et coquette, entortillent
Un quart mouchoir autour de leur chignon.
Quand un bateau part des rives bretonnes,
Plus d'un mouchoir fait le geste d'adieu
Et quand revient le vent glacé d'automne,
Plus d'un mouchoir cache alors de beaux yeux.
Parfois aussi, dans l'Afrique si dure,
Un p'tit soldat tombe, une balle au front.
C'est un mouchoir qui couvre la blessure
Par où le sang et l'âme s'en iront.
Et la maman qui l'attend plein d'alarme
Reçoit un jour, n'en pouvant croire ses yeux,
Dans un mouchoir qu'elle arrose de larmes,
Quelques objets, souvenirs de son fieu.
Car tous les mouchoirs, lorsque l'âme est triste,
Saignant sous le coup des noires douleurs,
Qu'il soit d'humble toile ou de fine baptiste,
Tous les mouchoirs doivent essuyer nos pleurs.