On a tant navigué sur tes canaux
On a fait tant de vagues sur ta peau
On a tant labouré ton ventre
On a tant escaladé tes sommets
Tant exploré ton monde au plus secret
Reposé le long de tes pentes
Avec espoir ou épouvante
Que se défait le paysage
Que se décale ton image
Et qu'on voudrait que tu te voies
Déjà moins belle qu'autrefois.
Mais pourtant que tu es belle, Marie,
Marie-Géographie,
Belle comme un pays
Comme un pays meurtri
Sinuant bleues tout comme fleuves
Comme rivières et ruisseaux
Tes veines marquent sous la peau
Gonflant sous des tendresses neuves
Ne nous cache plus tes méandres
Ils sont emplis de notre sang
Ils nous ont tous rendus vivants
S'ils t'ont laissée un peu plus tendre
C'est alors que tu es belle, Marie,
Marie-Géographie,
Belle comme un pays
Comme un pays meurtri
Si au plus doux de tes collines
Se produisent hier ou demain
Quelques glissements de terrain
Tu n'en dois pas être chagrine
Ne regrette rien pour la source
Où tous ensemble nous buvions
Même si quelques alluvions
Sont venus la rendre plus douce
C'est alors que tu es belle, Marie
S'il a neigé même en automne
Dans la forêt de tes cheveux
Si tes rameaux sont moins nombreux
Si toute couleur t'abandonne,
Ne cherche plus les artifices
Si tu renonces à flamboyer
Tu es si douce à regarder
Beau cygne sur l'étang tu glisses
C'est alors que tu es belle, Marie,
N'écoute pas ceux qui racontent
Que tu as perdu ta beauté
Tu n'en finis pas d'exister
Fleuve, tu vois tes eaux qui montent
Tu t'es multipliée sans guerre
Et c'est si beau pour un pays
De croître sans avoir failli
D'ignorer même les frontières
Moi je dis que tu es belle, Marie,
Marie-Géographie,
Belle comme un pays
Comme un pays meurtri
Oui tu es belle, Marie,
Marie-Géographie,
Qui n'as jamais fini
De nous donner la vie.