Au château d'Anguilles-sous-Rochers
C'est le jour traditionell:
Le Duc Alfred a organisé
Une chasse présidentielle
Au canard sauvage
De son élevage.
On fera la fête
A toutes ces bêtes
Que le Duc a fait installer savamment
Dans ses bois la veille pour beaucoup d'argent.
Deux généraux arrivent haletants,
Suivis du corps diplomatique.
Après un cardinal armé jusqu'aux dents,
Trois jeunes cadres dynamiques,
Un syndicaliste,
Quelques monarchistes,
Un prix littéraire,
De hauts fonctionnaires.
Sortant d'un tailis, affolé, un vieillard,
Quand sonnent les trompes, accourt sur son brancard.
Les coups de feu claquent de tous les côtés.
Un teckel émerge en boitant
D'un épais nuage de fumée,
On l'avait pris pour un faisan.
Le Duc en déroute
Abat le casse-croûte,
Qu'un prêtre profane
Avait sous sa soutane.
Les plombs transpercent rillettes et camembert,
Un sanglier se rend les deux pattes en l'air.
«Que vois-je donc paraître à l'orée du bois?»
Le vieillard ne voit plus très clair.
«On va faire un sort à cette bête-là
Qui ressemble assez à un cerf!»
On met sa civière près de la lisière.
Il prend l'escopette,
Trouve la gâchette,
Il vise, il tire, ainsi finit la carrière
Du Ministre des affaires étrangères.
Quand le vieillard crie «Hallali! Nous l'avons»
L'ambiance devient pesante.
On remet des notes de protestation
Extrêmenent violentes.
«Mais quoi qu'on en pense,
A cette distance,
Il faut reconnaître:
C'est un coup de maître»
Et d'ailleurs le ministre se raconte-t-on,
Fréquentait des membres de l'opposition.
La nuit tombe au château et la paix revient,
La fumée de poudre envolée.
Le Cardinal vient bénir le butin
De pauvre gibier fatigué:
La laie asthmatique,
Les canards phtisiques,
La chasse s'arrose,
Et puis on propose
D'offrir le butin, car on est généreux,
A l'orphelinat des Enfants du Bon Dieu.